Par le Docteur Philippe Camparo
Président du SMPF, Syndicat des Médecins Pathologistes Français
Membre du bureau d’Avenir Spé
Tout médecin a le devoir de s’informer des progrès de la médecine nécessaires à son activité (article 11 du code déontologie). La formation continue des médecins constitue donc pour chaque médecin une obligation déontologique mais aussi légale.
Elle est caractérisée en France par la juxtaposition de deux obligations distinctes :
- La Formation Médicale Continue (FMC) obligatoire depuis 1996 a été complétée en 2004 par une évaluation des pratiques professionnelles (EPP). Depuis 2009 ces deux obligations sont regroupées dans le cadre du Développement Professionnel Continue (DPC) définissant un parcours individuel de formation conforme à un parcours de référence engageant les professionnels de santé au cours d’une période de trois ans.
- Depuis le premier janvier 2023 une obligation de certification périodique y a été ajoutée. Elle impose aux praticiens de suivre un parcours de référence supplémentaire propre à chaque spécialité comprenant de nouveaux objectifs d’amélioration de la relation avec les patients et de santé du professionnel. Les arrêtés concernant cette certification n’ont cependant … pas encore été publiés.
L’organisation du DPC s’appuie d’une part sur l’Agence Nationale du Développement Professionnel Continu (ANDPC) et d’autre part sur les Conseils Nationaux Professionnels (CNP).
L’ANDPC constitué paritairement entre l’État et l’Union nationale des caisses d’assurance maladie (Uncam) assure le pilotage du DPC pour lequel les professionnels sont indemnisés.
Ses principales missions sont :
- Évaluer des organismes et structures dispensant des formations dans le cadre du DPC ;
- Garantir la qualité scientifique et pédagogique des actions et programmes de DPC proposés ;
- Mesurer l’impact du DPC sur l’amélioration et l’efficience du dispositif ;
- Participer au financement des actions de DPC pouvant être pris en charge par l’Agence.
Les CNP ont trois grandes missions :
- Proposer des orientations prioritaires de DPC (mission à laquelle participe le Conseil National de l’Ordre des Médecins (CNOM), qui sont spécifiques à chaque spécialité médicale.
- Définir le parcours pluriannuel de DPC ;
- Proposer un document informatique permettant à chaque médecin de retracer l’ensemble des actions de DPC réalisées dans le cadre de son obligation triennale.
Le DPC doit répondre à des orientations nationales définies par spécialité sur la base des propositions des CNP. Ces orientations sont fixées par un arrêté du ministre chargé de la Santé (non encore publié).
A côté des formations définies comme prioritaires on peut trouver suivant les orientations définies par les CNPs de chaque spécialité des formations universitaires (par exemple, un DU) la participation à des congrès de sociétés savantes reconnus par le CNP, des actions d’enseignement, la participation à des travaux de recherche ou des publications ou à des réunions de concertations pluridisciplinaires.
Afin de satisfaire à son obligation triennale de DPC, le médecin doit donc :
- Soit se conformer au parcours de DPC de sa spécialité ;
- Soit s’engager dans une démarche d’accréditation qui vaut DPC ;
- Soit justifier d’une démarche de DPC comportant des actions de formation, d’évaluation et d’amélioration des pratiques et de gestion des risques. La démarche doit alors comporter au moins deux de ces trois types d’actions et au moins une action s’inscrivant dans le cadre des orientations prioritaires mises en œuvre par une structure ou un organisme de DPC enregistrés à l’ANDPC.
Un document électronique de traçabilité, élaboré par chaque CNP, permet au médecin de conserver l’ensemble des actions réalisées au titre de son obligation de DPC en fonction de sa spécialité. Le CNP vérifie que le médecin a bien rempli son obligation de DPC et lui délivre une attestation de conformité. L’Ordre des médecins doit s’assurer, vis-à-vis des patients et de la société, que les praticiens ont respecté leur obligation de développement professionnel continu.
Le document « La formation continue des médecins » publié par la cour des comptes en septembre 2024 explore l’état de la formation continue des professionnels de santé en France, en se concentrant sur la période 2019-2023.
- Premier constat :
L’adhésion des médecins à la formation continue est faible. Seul un médecin sur sept a satisfait à l’obligation du DPC lors du cycle triennal 2020-2022. Cependant, cela ne signifie pas que les autres ne se forment pas. Une partie des médecins suivent des formations mais ne rendent pas compte de ces actions dans les systèmes formels de traçabilité. Les médecins ressentent souvent l’obligation de DPC comme complexe et mal adaptée. De plus ils jugent que le système actuel reconnaît un nombre trop limité de formations comme valides pour le DPC et cela réduit leur motivation à s’y conformer.
L’Ordre des médecins, chargé de contrôler cette obligation, dispose de données partielles et souvent non fiabilisées, ce qui empêche un contrôle efficace. Sur les 234 000 médecins actifs en France, l’Ordre n’a reçu des informations que pour 36 % d’entre eux.
- Deuxième constat :
L’empilement de dispositifs successifs conduit à un régime complexe, où différentes obligations coexistent sans grande cohérence. La multiplicité des sources d’information (Agence nationale du DPC, Haute Autorité de Santé, organismes professionnels) rend difficile le suivi efficace du respect des obligations.
- Troisième constat
Les contrôles sont insuffisants, tant au niveau des attestations des actions de formation que des formations elles-mêmes. Le système repose trop sur des déclarations des médecins sans vérification rigoureuse. Le rapport appelle donc à une réforme en profondeur du système, avec plusieurs propositions clés :
- Fusionner les dispositifs de formation continue et de certification périodique pour simplifier les obligations des médecins. Cela permettrait de clarifier les attentes et de réduire la complexité actuelle ;
- Harmoniser les référentiels de certification. Chaque spécialité médicale devrait disposer d’un référentiel de certification clair, précisant les actions de formation requises, leur durée et les justificatifs nécessaires ;
- Renforcer les contrôles. Le contrôle de la formation devrait être plus structuré et s’appuyer sur des critères de qualité des informations fournies par les médecins et les organismes de formation.
- Quatrième constat
La Cour des Comptes indique en effet dans le rapport que l’un des problèmes majeurs relevés est le manque d’une évaluation systématique de l’impact de ces formations. En d’autres termes, il n’est pas toujours possible de savoir si les actions de formation suivies par les médecins produisent effectivement les résultats escomptés, à savoir une amélioration des soins prodigués aux patients.
La Cour des Comptes souligne que l’évaluation de l’impact des actions de formation doit être facilitée et étendue. Pour cela, plusieurs propositions concrètes sont avancées :
- Impliquer des organismes indépendants dans l’évaluation
- Le rapport propose que l’évaluation de l’impact des actions de formation continue soit confiée à des organismes indépendants, comme le Conseil national de la certification périodique ou la Haute Autorité de Santé (HAS). Ces organismes pourraient jouer un rôle central dans l’analyse des résultats des formations et dans la définition de critères d’évaluation.
- La Cour des Comptes met en avant l’importance de garantir une objectivité et une indépendance dans l’évaluation des programmes de formation. Cela permettrait de renforcer la crédibilité du système de formation continue en s’assurant que les formations suivies sont véritablement bénéfiques aux pratiques médicales.
- Surmonter les difficultés liées à l’accès aux données
- Une évaluation rigoureuse nécessite l’accès à des données fiables sur les actions de formation suivies par les médecins et sur leurs résultats. Cependant, l’accès à ces données est actuellement limité par des contraintes liées à la protection des données personnelles.
- Pour faciliter l’évaluation, le rapport propose de surmonter ces difficultés en permettant l’utilisation de données anonymisées. Une fois ces données anonymisées, elles pourraient être exploitées à des fins d’évaluation sans compromettre la confidentialité des professionnels de santé.
- Étendre l’évaluation à la nouvelle certification périodique
- En plus des actions de formation continue classiques, la Cour des Comptes recommande que l’évaluation de l’impact soit étendue à la certification périodique, entrée en vigueur en 2023.
- Cette certification inclut des objectifs élargis par rapport à la formation continue traditionnelle, notamment en ce qui concerne l’amélioration de la relation avec les patients et la prise en compte de la santé du médecin. L’évaluation de ces nouveaux objectifs est jugée essentielle pour s’assurer que la certification périodique apporte des améliorations concrètes dans les pratiques médicales.
- Utiliser des critères spécifiques pour mesurer l’impact effectif des formations
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- Pour rendre l’évaluation plus effective, il est proposé de définir des indicateurs de performance clairs, qui permettraient de mesurer l’impact des actions de formation sur la qualité des soins et l’amélioration des pratiques médicales. Ces indicateurs pourraient inclure des éléments comme :
- L’amélioration des résultats cliniques des patients,
- Le nombre d’erreurs médicales évitées,
- L’amélioration de la relation médecin-patient,
- La réduction des pratiques médicales obsolètes.
- Ces évaluations pourraient également se faire via des tests ou audits réguliers permettant de vérifier les acquis des médecins et leur capacité à appliquer les connaissances acquises en formation dans leur pratique quotidienne.
- Pour rendre l’évaluation plus effective, il est proposé de définir des indicateurs de performance clairs, qui permettraient de mesurer l’impact des actions de formation sur la qualité des soins et l’amélioration des pratiques médicales. Ces indicateurs pourraient inclure des éléments comme :
L’objectif est de garantir que chaque formation suivie ne soit pas seulement une formalité administrative mais qu’elle ait « un réel impact sur les compétences et les pratiques des médecins ». En confiant cette évaluation à des organismes indépendants, en facilitant l’accès aux données anonymisées et en intégrant des critères d’évaluation précis, la Cour des Comptes cherche à s’assurer que les formations offrent des bénéfices tangibles pour la qualité des soins et la sécurité des patients. L’élargissement de cette évaluation à la certification périodique permettrait de couvrir un champ plus large d’objectifs et d’apporter des améliorations à long terme, tant dans la relation avec les patients que dans l’état de santé général des médecins eux-mêmes.
Il s’agit ici par glissement progressif d’un changement de paradigme majeur : si la volonté de contrôle s’entend parfaitement pour défendre la qualité des formations financées par l’État il ne s’agit plus simplement dans les deux derniers points d’obligations de moyens mais bien d’obligations de résultats visant directement le praticien et sa pratique, la Cour des Comptes allant jusqu’à évoquer des procédures de suspensions d’exercice. Elle s’appuie sur des modèles de certifications présents aux Etats-Unis d’Amérique et au Canada où la pression médico-légale est majeure ou des pays comme le Danemark et le Royaume-Uni où l’organisation des soins est centralisée.
- Cinquième constat
Dans son chapitre 3 « Renforcer et homogénéiser les conditions de régulation de l’offre de formation » le rapport de la Cour des Comptes souligne les risques de conflits d’intérêts, notamment via les financements de l’industrie pharmaceutique à des acteurs de la santé, qui pourraient influencer les formations. Il propose d’introduire des règles de transparence et de renforcer les contrôles pour éviter que les intérêts économiques ne prévalent sur la sécurité des patients.
Les montants financiers versés par les entreprises du secteur pharmaceutique aux acteurs de la santé sont en effet significatifs. Entre 2017 et 2022, environ 5 milliards d’euros ont été versés aux acteurs de la santé, dont une partie importante à des bénéficiaires impliqués dans des actions de formation. Le rapport mentionne des situations problématiques où certains professionnels, conseils nationaux professionnels ou sociétés savantes recommandent ou valident des congrès ou des formations organisés par des organismes avec lesquels ils ont des liens étroits. Cette proximité crée des risques de partialité dans le contenu des formations.
Par ailleurs les exigences en matière de qualité pédagogique, scientifique et d’indépendance par rapport à l’industrie pharmaceutique ne sont pas uniformes selon les organismes de formation. Cette inégalité nuit à la crédibilité du dispositif de formation continue et limite son impact global sur l’amélioration des pratiques médicales.
La Cour des Comptes met ainsi en lumière la diversité des pratiques de régulation selon les opérateurs de formation. Certains opérateurs comme l’ANDPC mettent en place des mécanismes de régulation stricts pour les organismes de formation et les actions qu’ils dispensent. D’autres acteurs, en revanche, n’appliquent que très peu de contrôle ou adoptent des critères très variables. Le rapport souligne que, même lorsque des règles de régulation sont en place, les contrôles a posteriori (une fois les formations terminées) ne sont pas toujours réalisés de manière rigoureuse. Cela peut permettre à des actions de formation de faible qualité ou de pertinence discutable de passer inaperçues.
Pour pallier les insuffisances du système actuel, le rapport propose plusieurs réformes destinées à homogénéiser et renforcer la régulation de l’offre de formation continue des médecins.
- L’introduction d’un label unique obligatoire pour les organismes de formation intervenant dans le domaine de la santé garantirait que les actions de formation respectent des critères stricts en termes de qualité pédagogique et d’indépendance vis-à-vis de l’industrie pharmaceutique. L’Agence Nationale du Développement Professionnel Continu (ANDPC) serait responsable de la délivrance de ce label. Cette mesure permettrait d’harmoniser les pratiques de régulation, de garantir un niveau minimal de qualité pour toutes les formations, et de donner aux médecins plus de clarté sur les actions de formation conformes à leur obligation.
- La Cour des comptes recommande également de renforcer les contrôles a posteriori des actions de formation. Ces contrôles seraient réalisés par les financeurs (comme l’ANDPC, l’Association nationale pour la formation permanente du personnel hospitalier, et l’opérateur de compétences Opco Santé), et non uniquement par les organismes de formation eux-mêmes. En outre, ces financeurs devraient voir leurs pouvoirs de contrôle et de sanction renforcés, afin qu’ils puissent sanctionner les manquements aux critères de qualité ou d’indépendance. Cela permettrait d’améliorer la surveillance des formations et de dissuader les pratiques douteuses.
- Il est proposé de réviser les critères de régulation pour que ceux-ci soient plus stricts et homogènes entre les différents organismes de formation. Ces critères incluraient la qualité scientifique et pédagogique des formations, l’indépendance par rapport aux financements provenant de l’industrie des produits de santé, la pertinence des formations par rapport aux référentiels des spécialités médicales. Le but est de rationaliser l’offre de formation, en favorisant des programmes qui répondent aux besoins réels des médecins et aux enjeux de santé publique, tout en minimisant les risques d’influence économique.
Pour s’assurer que ces réformes soient effectivement appliquées, la Cour des Comptes appelle à une intensification des contrôles et à un recours accru aux sanctions vis à vis des organismes de formation en cas de manquements. Cela inclut la possibilité pour les financeurs de révoquer des accréditations, d’infliger des amendes ou de retirer des subventions aux organismes de formation qui ne respecteraient pas les critères exigés.
D’une manière générale il est à craindre ici que la complexification des modalités d’accréditations bien que tout a fait justifiée aux regards des dérives observées et des impacts attendus ne viennent à priver les acteurs eux-mêmes (professions médicales et paramédicales et sociétés savantes) de la possibilité de proposer des formations adaptées à leurs besoins et l’état actualisé de leur art. On rappellera ici que l’organisation de certaines formations en particulier concernant les formations prioritaires n’est pas autorisées aux structures constituant les CNP … dans le but d’éviter les conflits d’intérêts.
- Sixième constat
Le coût de la formation continue est un autre enjeu majeur. Entre 2019 et 2023, les dépenses de formation des médecins ont atteint en moyenne 140 millions d’euros par an. C’est bien là le nerf principal de la guerre. Le rapport signale plusieurs faiblesses dans le financement :
- Pour les médecins libéraux, le système de financement actuel, basé en partie sur des indemnités compensatrices, pourrait générer des surcoûts ;
- Pour les médecins hospitaliers et salariés, le financement est jugé insuffisant, malgré la disponibilité de crédits budgétaires. Le rapport appelle à une meilleure utilisation des fonds alloués à la formation pour ces catégories de médecins.
Conclusion
Ce rapport met en lumière un système de formation continue qui, malgré son importance pour la qualité des soins, est encore largement inefficace. La Cour des Comptes propose une réforme en profondeur, axée sur la simplification des obligations, l’amélioration des contrôles et une gestion plus rigoureuse des dépenses. Ces réformes visent à garantir que les médecins soient mieux formés et que les patients bénéficient de soins de qualité dans un environnement médical en constante évolution.
Les médecins et leurs représentants quant à eux doivent prendre garde de ne pas perdre la main sur les moyens dont ils disposent pour leur indispensable formation continue. Pour cela il nous incombe de démontrer notre implication active au DPC en renseignant nos comptes individuels via nos CNP respectifs (document électronique de traçabilité), en gérant activement l’organisation de FMC adaptées et indépendantes et en veillant à ce que l’obligation de DPC ne devienne pas qu’un outil de contrôle de nos modes d’exercices.