Collaboration interprofessionnelle : déréguler ou structurer le système de soins ?
Avenir Spé ne conteste pas la nécessité de trouver des palliatifs immédiats à la désertification médicale ni l’intérêt de développer les compétences des professionnels paramédicaux. La LFSS a délibérément lancé une tendance lourde à la dérégulation des professions paramédicales, à leur déconnection des médecins, sans que soient précisés les fondements d’une démarche de soins pertinente ni les garde-fous limitant des dérives prévisibles et déjà observées.
Comment fonder la pertinence des prises en charge ?
Pour Avenir Spé, le CNOM, les CNP d’ophtalmologie, ORL et MPR qui se sont exprimés sur le PLFSS 2022, un projet de soins pertinent ne peut reposer que sur un diagnostic « médical » qui permet de répondre aux questions suivantes :
- Quelle affection se trouve derrière les symptômes décrits par le patient ou observés par le praticien ?
- A-t-elle une cause spécifiquement traitable ?
- Quelle est son degré de gravité?
- Quel est son pronostic : bénignité (spontanément résolutive), gravité (susceptible d’aggravation ou de complications), chronicité ?
- Quelles peuvent être ses conséquences : handicap, difficultés de réinsertion professionnelle, difficultés socio-économiques, risque vital…
- Quelles sont les solutions thérapeutiques les plus efficaces et les moins risquées ?
Le terme de « diagnostic » appliqué à certaines professions paramédicale (infirmières, kinésithérapeutes, orthoptistes…) est inadapté et trompeur. En fait, ce sont des évaluations qui ont, certes, leur utilité pour suivre l’évolution du patient, mais qui ne répondent en aucun cas aux questions posées ci-dessus.
Le diagnostic, bénin ou sévère, n’est pas écrit sur le front des patients. Les circonstances plus ou moins dramatiques, le tempérament du patient, anxieux ou robuste, peuvent amplifier les symptômes ou, au contraire, masquer les signaux faibles indicateurs d’une affection sérieuse. Seuls les médecins ont été formés, pendant une dizaine d’année chacun, à procéder à une analyse clinique méthodique des symptômes cliniques et paracliniques et à les mettre en cohérence pour aboutir à un diagnostic aussi fiable que possible.
Définir les « situations bénignes » et encadrer l’accès direct aux paramédicaux
Passons rapidement sur les situations de toute évidence bénigne, comme une éraflure au genou, des piqûres d’orties ou de moustique, un coup de soleil… Autrefois, elles étaient soignées par les « grands-mères ». Faut-il maintenant recourir systématiquement à un professionnel de santé, une ou plusieurs fois ? Une éducation de la population à ces situations bénignes serait peut-être moins coûteuse et aussi efficace…
Pour un certain nombre de situations, des procédures de soins de première intention et des critères d’alerte (red flags) ont été définies.
On peut citer comme exemple la cystite aigüe, un premier lumbago, une entorse bénigne… Dans ces cas, un professionnel paramédical formé à cet exercice pourrait répondre à la demande.
Mais cet exercice paramédical de première intention doit être encadré :
- Il n’y a pas lieu de délivrer des soins répétitifs pour une affection bénigne, sensée guérir toute seule en quelques jours. Un bilan initial et, éventuellement, un bilan de contrôle à une semaine sont suffisants.
- Les patients qui ne suivent pas cette évolution spontanément favorable doivent être réorientés vers un médecin, généraliste ou spécialiste selon des modalités précisées dans des protocoles de collaboration adaptés aux conditions locales.
- Il est totalement infondé d’encourager des circuits horizontaux de collaboration entre paramédicaux sans qu’ils ne reposent sur un diagnostic médical et une stratégie supervisée par un médecin.
- Les situations existantes d’accès direct aux paramédicaux doivent être évaluées. Par exemple, la prise en charge des entorses de cheville et des lumbagos par les kinésithérapeutes.
Les situations qui requièrent un recours au médecin
Au stade aigu, le recours au médecin est légitime et nécessaire chaque fois que :
- des indices de gravité sont détectés (les « red flags »),
- les mesures initiales, répondant aux recommandations de la HAS, n’ont pas donné les effets escomptés,
- des examens complémentaires (imagerie, biologie,) paraissent requis
- une prise en charge multiprofessionnelle semble nécessaire.
Il faut ici souligner les excès observés en matière de prescriptions de semelles, de recours à des ostéopathes et autres professionnels à la marge du système de santé.
Pour les affections chroniques, la prise en charge paramédicale au long cours ne peut se substituer à un suivi, au moins annuel, par le médecin traitant ou un médecin spécialiste.
C’est le seul moyen de déceler les complications à bas bruit et les décompensations progressives avant qu’elles ne deviennent irréversibles. Outre la compétence médicale nécessaire, il est important que le patient soit de temps en temps considéré d’un œil neuf avec la reprise détaillée de tous les paramètres de son affection. Il n’est rien de plus trompeur qu’un patient que l’on voit trop souvent !