Le Secteur 2 : histoire et perspectives

Petit rappel historique

Le Secteur 2 a été instauré par la troisième convention médicale en 1980. Le Premier ministre Raymond Barre, prenant acte de l’incapacité de la Sécurité Sociale de suivre l’évolution des dépenses de santé, proposa aux médecins de choisir un secteur d’exercice où ils seraient libres de leurs tarifs. En contrepartie, leurs patients ne seraient remboursés que sur les « tarifs opposables » de la Sécurité sociale et celle-ci ne participerait plus au financement de leurs assurances maladie et vieillesse, tandis que les médecins restés en Secteur 1 continueraient d’en bénéficier. Cette convention fut signée par la FMF qui refusait le principe des tarifs opposables.

Au début, le nombre de médecins s’engageant dans le Secteur 2 fut limité. La pensée « humaniste » n’y était pas très favorable. Mais tous les deux ans, il y avait une « fenêtre conventionnelle » permettant aux médecins de changer de secteur à leur guise. Outre la perte du financement de la couverture sociale, beaucoup de médecins craignaient une fuite de leur patientèle dans une période de relative surpopulation médicale. Mais, peu à peu, voyant la stagnation des tarifs opposables, de plus en plus de médecins envisagèrent d’opter pour le Secteur 2.

Le tournant fut l’année 1989. Nous fûmes avertis par les syndicats que la fenêtre conventionnelle de 1989 serait la dernière. À l’époque, beaucoup de médecins voulaient encore consolider leur activité et comptaient attendre encore deux ans pour passer en Secteur 2. De fait, ceux qui restèrent en Secteur 1 ne purent jamais plus en sortir jusqu’à maintenant ! Ceux qui furent assez clairvoyants pour choisir le Secteur 2 eurent à affronter une ou deux années un peu difficiles, mais gagnèrent ainsi la liberté et un confort d’exercice certain.

La convention de 1990 limita l’entrée en « secteur à honoraires libres » aux anciens chefs de clinique-assistants. D’un concept purement économique, le Secteur 2 devint ainsi un privilège lié à un parcours de post internat. Cette condition prévaut encore à l’heure actuelle. Pour bénéficier de l’entrée en Secteur 2, il faut être ancien CCA ou ancien assistant des hôpitaux périphériques, ou ancien PH. Toutefois, le parcours en ESPIC ou autre structure salariée n’est pas éligible pour le droit au Secteur 2.

En parallèle, l’Assurance maladie n’a eu de cesse de freiner et de réencadrer la liberté des honoraires. Plusieurs formules ont vu le jour, au gré des conventions successives : secteur optionnel, « dépassements exceptionnels », « dépassements autorisés », Contrat d’accès aux soins (CAS) et, depuis 2016, l’Option tarifaire maîtrisée (OPTAM), actuellement en vigueur.

L’OPTAM

Inquiète de l’augmentation progressive des compléments d’honoraires, toujours favorisée par l’effet de ciseau entre les coûts de fonctionnement inéluctablement croissants et la stagnation des tarifs opposables, mais aussi par une démographie conduisant à l’inversion du rapport entre l’offre et la demande, la CNAM a proposé une succession de contrats de maîtrise des compléments d’honoraires, dont l’OPTAM est la dernière version depuis 2016.

Les engagements du médecin

Comme le CAS, l’OPTAM s’adresse essentiellement aux médecins en Secteur 2. Néanmoins, les syndicats médicaux ont permis qu’il soit également accessible aux médecins en Secteur 1 dont le parcours post internat ouvre les droits au Secteur 2.

En choisissant l’OPTAM, le médecin s’engage à ne pas dépasser des ratios d’opposabilité et de compléments d’honoraires calculés sur l’année (et non pas sur chaque acte).

En 2011, les seuils à respecter pour rester dans le CAS furent calculés sur l’activité effective de chaque médecin au cours des cinq dernières années. En 2016, les cibles de l’OPTAM furent redéterminées sur les trois années précédentes. Ceci produisit un effet de cliquet : ceux qui avaient eu le mérite (ou la naïveté) de rester au-dessous de leurs objectifs, se virent appliquer une baisse des seuils à respecter !

Pour les nouveaux installés ou pour les médecins Secteur 1 accédant à l’OPTAM, les limites sont fixées selon des moyennes régionales par spécialités, impossibles à contrôler. Pour les connaître, le médecin doit demander un entretien avec un conseiller de la CPAM et lui demander communication des critères qui s’appliqueront à son cas. En effet, il n’y a pas de publication de ces critères au niveau national ni régional…

Pour les médecins déjà en Secteur 2, souscrivant à l’OPTAM, les paramètres ont été déterminés à partir des années 2012 à 2015, quelle que soit la date d’entrée dans l’option. En outre, ces paramètres sont « recalculés » par la Caisse en tenant compte des majorations que le médecin pourra appliquer dans son nouveau statut : majorations MCS, MPC et autres. Les rares augmentations tarifaires réduisent aussi les marges de liberté tarifaire.

La Convention a aussi institué l’OPTAM de groupe. Si un médecin s’installe dans un cabinet dont les associés sont déjà à l’OPTAM, il est possible d’établir une péréquation entre les critères régionaux et les paramètres des médecins déjà en exercice. Cette péréquation peut être bénéfique au nouvel entrant, mais elle pénalise les anciens qui voient leurs paramètres d’encadrement se resserrer d’autant. Chacun reste personnellement responsable du respect de ses critères. Il n’y a pas de mutualisation des moyennes d’activité.

Les conséquences financières

Le praticien inscrit à l’OPTAM peut appliquer toutes les majorations et cotations réservées au Secteur 1, ce qui fait que ses patients sont mieux remboursés. Dans la dernière convention de 2016, la CNAM a réservé la plupart des avancées tarifaires aux médecins du Secteur 1 et aux signataires de l’OPTAM, ce qui pénalise les patients qui consultent les médecins en Secteur 2.

Conseil pratique : pour respecter plus facilement les critères imposés, on a avantage à regrouper les compléments d’honoraires sur certaines consultations et à laisser des consultations « secondaires » au tarif opposable. En outre, ceci est bien mieux accepté du public qui supporte plutôt bien de payer un complément d’honoraire la première fois ou pour des consultations jugées importantes, plutôt que d’avoir à payer un complément, même moindre, à chaque consultation.

Poussées par un décret de 2014, les mutuelles ont instauré des Contrats santé responsables qui remboursent en général les compléments d’honoraires des médecins signataires de l’OPTAM. En contrepartie, beaucoup ne remboursent pas ou plus ou moins les compléments d’honoraires des médecins en Secteur 2 pur.

Pour leur part d’activité à tarifs opposables, les médecins à l’OPTAM bénéficient de la participation des caisses à leurs charges sociales, comme en Secteur 1. Enfin, une prime est versée pour le respect des critères d’engagement.

Depuis 2016, un écart de 5% est toléré au-delà des limites d’engagement. La prime et les avantages sociaux sont néanmoins réduits au prorata du dépassement. Il est possible de suivre sur le site ameli la structuration de son activité eu égard aux critères, ce qui permet, le cas échéant de corriger le tir avant la fin de l’année.

Peut-on abandonner l’OPTAM ?

Oui, les textes le prévoient explicitement. Dans ce cas, chacun retourne à son secteur d’origine. L’OPTAM n’est pas une passerelle pour passer du Secteur 1 au Secteur 2. Inversement, il ne peut pas vous faire perdre votre droit au Secteur 2.

La crise du COVID, les contraintes économiques et d’autres raisons propres à chacun peuvent conduire à dépasser les limites prévues par l’OPTAM. Dans ce cas, le médecin peut être exclu de l’OPTAM. À l’origine, cette exclusion était définitive, mais les syndicats ont obtenu que l’exclusion ne soit valable que jusqu’à la convention suivante.

Bien sûr, il faut être prêt à retrouver tous les inconvénients du Secteur 2 pur. On peut facilement faire l’impasse sur les subventions et autres primes des Caisses. Mais le principal inconvénient est que les patients seront moins bien remboursés, tant par l’Assurance maladie que par les complémentaires. Quoiqu’il en soit, de plus en plus de médecins renoncent à l’OPTAM pour retrouver ainsi leur liberté.

Conseil aux jeunes : évitez à tout prix le Secteur 1

Le Secteur 1 n’a plus aucun intérêt. Depuis trente ans, l’Assurance maladie ne nous a jamais accordé d’augmentation d’honoraires significative. Rien n’a été fait pour parvenir à un dispositif de rémunération équitable et les disparités entre spécialités sont toujours les mêmes. Chaque fois qu’une idée favorable semble progresser, l’administration a l’art de la dévoyer et de lui faire perdre tout impact pratique.

Même les spécialités qui bénéficiaient des cotations les plus avantageuses voient ces avantages fondre peu à peu. Les cotations ne sont plus réévaluées de manière significative depuis la création de la CCAM en 2005 alors que les charges ne cessent d’augmenter : loyers, salaires, charges sociales. Beaucoup de médecins du Secteur 1 ont dû renoncer à avoir une secrétaire et doivent se débattre seuls avec l’accueil des patients, la comptabilité et toutes la paperasserie née du cerveau fertile de l’Administration.

Le gros argument en faveur du Secteur 1 est la participation de l’Assurance maladie aux cotisations sociales des médecins :

  • Cotisations maladie : la Caisse prend en charge la quasi-totalité de la cotisation due sur l’activité à tarifs opposables (6,4% pour 6,5% au total), mais n’intervient pas sur les cotisations dues sur les compléments d’honoraires (DE et DA).
  • Allocations familiales : la Caisse prend en charge de 60 à 100 % des cotisations selon le niveau de revenu.
  • Allocations supplémentaires vieillesse : la Caisse prend 2/3 des cotisations sur la part forfaitaire et 1/3 de la part proportionnelle aux revenus. Elle n’intervient pas sur la Retraite de Base, sur la Retraite complémentaire ni sur l’assurance Invalidité-décès. Au fil des ans, l’ASV a cependant connu beaucoup de vicissitudes et les Politiques comme l’Administration font parfois mine de remettre en question ces avantages sociaux pour les médecins du Secteur 1.

Les conditions pour accéder au Secteur 2

Le Secteur 2 ne peut se choisir qu’une fois dans une vie professionnelle : lors de la première installation en libéral ! Seule exception, les consultations privées à l’hôpital… Si l’on rate cette opportunité, c’est la prison à vie. Il ne sera plus possible de sortir du Secteur 1.

Néanmoins, le droit à opter pour le Secteur 2 est conditionné par un post internat. Les conditions sont précisées dans l’article 38-1-1 de la convention de 2016 :

Peuvent demander à être autorisés à pratiquer des honoraires différents, les médecins qui, à compter de la date d’entrée en vigueur de la présente convention, s’installent pour la première fois en exercice libéral dans le cadre de la spécialité qu’ils souhaitent exercer et sont titulaires des titres énumérés ci-après, acquis en France dans les établissements publics de santé ou au sein de la Faculté libre de médecine de Lille. Les titres hospitaliers publics sont :

  • ancien chef de clinique des universités – assistant des hôpitaux dont le statut relève du décret n° 84-135 du 24 février 1984 ;
  • ancien chef de clinique des universités de médecine générale dont le statut relève du décret n°2008-744 du 28 juillet 2008 ;
  • ancien assistant des hôpitaux dont le statut est régi par les articles R. 6152-501 et suivants du code de la santé publique ;
  • médecin des armées dont le titre relève du chapitre 2 du décret n° 2008-933 du 12 septembre 2008 portant statut particulier des praticiens des armées ;
  • praticien hospitalier nommé à titre permanent dont le statut relève des articles R. 6152-1 et suivants du code de la santé publique ;
  • praticien des hôpitaux à temps partiel comptant au minimum cinq années d’exercice dans ces fonctions et dont le statut relève des articles R. 6152-201 et suivants du code de la santé publique.

Une procédure d’équivalence est prévue par la Convention, en particulier pour les médecins étrangers venant s’installer en France. Malheureusement, ces équivalences sont rarement accordées et le parcours post internat des MPR en ESPIC et autres établissements n’appartenant pas strictement au « secteur public » n’ouvre pas l’accès au Secteur 1.

En pratique, les internes qui souhaitent s’installer en libéral ont plus intérêt à faire un assistanat de deux ans dans un hôpital public que de se faire engager dans un ESPIC, même prestigieux. En tant qu’assistants, ils auront tout intérêt à faire beaucoup de consultations pour se familiariser avec un modèle d’exercice qu’ils pourront ensuite facilement transposer en libéral. Pendant cette période, ils pourront aussi faire des remplacements, observer différents modes d’organisation et ainsi être parfaitement prêts pour leur installation.

Une fois passées ces deux années fatidiques, ils auront encore la possibilité d’intégrer un cabinet existant comme collaborateurs à temps partiel ou à temps plein, jusqu’à être sûrs de pouvoir voler de leurs propres ailes. Nous y reviendrons dans un autre article.

La nouvelle formule de l’internat en cinq ans risque de retarder la date d’installation, sauf si l’on parvient à faire reconnaître la cinquième année de « docteur junior » comme un post internat. Mais on peut douter de la bonne volonté de nos tutelles en ce sens…

Attention ! Ne signez jamais de papier de la Caisse indiquant une intention de vous installer en Secteur 1, même dans le cas d’une collaboration. Les caisses se font un malin plaisir de coincer, quand elles le peuvent, les jeunes médecins trop naïfs.

Quelles perspectives pour 2022-2023 ?

Le Projet de Loi de finance de la Sécurité sociale 2023 sera, pour beaucoup de politiciens, l’occasion d’une nouvelle charge contre le Secteur 2, sous prétexte d’égalité sociale et de reste à charge zéro.

Supprimer le Secteur 2 devrait avoir pour corollaire une revalorisation tarifaire à un niveau équitable. Cela veut dire, non seulement assurer un revenu personnel en adéquation avec le niveau d’expertise, les responsabilités professionnelles et un temps de travail supérieur à la norme, mais aussi permettre au médecin de financer un outil de travail moderne, puissant et efficace. Ce dernier point est essentiel pour contrer l’emprise croissante des groupes financiers sur les infrastructures privées, avec les conséquences désastreuses observées cette année.

Mais si une telle contrepartie était en vue, cela se saurait ! Il ne peut être question de lâcher la proie pour l’ombre. Au contraire, Avenir Spé et Le BLOC vont se battre pour que le Secteur 2 à honoraires libres soit maintenu. Mais il faudra aussi :

  • que des mesures sournoises n’entravent pas l’entrée des jeunes dans le Secteur 2
  • que les médecins jusqu’à présent bloqués en Secteur 1 aient accès à un véritable espace de liberté tarifaire et non à un simulacre, comme cela a été le cas pour beaucoup,
  • que l’OPTAM soit clairement réformé pour élargir significativement les paramètres qui l’encadrent, supprimer les distorsions interrégionales et faire disparaître les effets de cliquets,
  • que les « contrats de santé responsables » soient réformés pour que les mutuelles puissent à nouveau jouer pleinement leur rôle d’assurances complémentaires et mieux contribuer au financement d’une médecine libérale de qualité.

Il faudra beaucoup de détermination syndicale et un large soutien de tous les médecins pour imposer ces réformes indispensables.

Dr Georges De Korvin
Président honoraire du SYFMER

 

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