Réponse à propos des rémunérations

Non, la rémunération des médecins libéraux n’explique pas les difficultés de l’Hôpital public !

Réponse à la lettre ouverte de la FHF et du collectif des hospitaliers

Monsieur le Ministre,

Les médecins spécialistes d’Avenir Spé ont pris connaissance avec consternation de la lettre que vous ont adressé les représentants des CME publiques, des Doyens et la Fédération hospitalière de France en date du 18 novembre 2021. Ce courrier haineux est un appel à la fracture entre soignants, allant à l’encontre de la volonté des Français et des soignants en cette période de crise sanitaire grave.

Nous partageons certains constats, mais les solutions envisagées nous semblent erronées et déconnectées des réalités de terrain. Elles dénotent une méconnaissance des difficultés que rencontrent les soignants en général. Cette analyse n’est que partisane, trop administrative et ignore l’évolution de notre société.  C’est cette méconnaissance qui a conduit l’hôpital public dans le marasme où il est englué.

Notre système de santé connait de graves difficultés et nous partageons les inquiétudes de nos confrères hospitaliers sur ce sujet. L’analyse de ces difficultés par le seul prisme de la rémunération et d’une opposition public/privé est réductrice et, surtout, erronée. Leur description de la médecine libérale reflète une méconnaissance totale de l’activité hors des murs de l’hôpital. Au passage, soulignons que l’activité libérale à l’hôpital ne cesse d’augmenter.

Trois sujets bien distincts et, pourtant, connectés doivent être distingués : la prise en charge des différentes crises COVID, la permanence des soins et les écarts supposés de rémunération entre les secteurs

1.      Les vagues COVID

Ce collectif omet d’emblée la participation effective des acteurs du privé lors des premières vagues COVID, tant pour l’accueil des patients dans la proximité, que dans la mobilisation du personnel médical et paramédical mis à disposition, notamment, des hôpitaux publics.

Par idéologie, le privé a été exclu de la prise en charge des patients sous le prétexte du « service public ». Combien de fois nous avons exprimé notre souhait de participer à l’effort de prise de charge des patients au sein de nos établissements ? Combien de décès de nos collègues en première ligne ont été constaté. La médecine libérale a payé le plus lourd tribu, le nier est une insulte à la profession et à leurs familles. Comment aurait-on pu doubler le nombre de lits de réanimation sans la médecine libérale ?

La deuxième vague a même permis l’émergence de solutions novatrices avec l’accueil de chirurgiens du public dans des établissements privés pour maintenir au maximum la prise en charge indispensable des patients non-COVID, alors que nous entendions trop souvent dire qu’il était indispensable d’arrêter l’activité privée pour concurrence déloyale. Cela s’est fait, grâce à des hommes et des femmes de bonne volonté sans préjugés !

2.      La continuité des soins

Nous avons tous le souhait de répondre au mieux à nos patients. L’organisation est difficile dans un contexte de démographie tendue. Le privé et le public sont à la même enseigne aujourd’hui. Personne ne peut nier que nous nous reposons trop souvent sur les services d’urgences et sur le Centre 15.

Cette PDS a été volontairement orientée vers l’Hôpital en supprimant les gardes en ville, ainsi que leur financement pour les réorienter vers les hôpitaux publics. Des moyens financiers, humains et matériels considérables ont été investis sur les hôpitaux au détriment de la médecine de ville. Demander que les libéraux ne bénéficiant pas de service d’urgence dans leur établissement participent à la PDS est tout simplement inique.

La désertification médicale accentue l’engorgement des services d’urgence publics et privés par des patients que les médecins de ville, en trop faible nombre et également saturés de travail, sont à présent incapables d’accueillir. De plus, il n’y a pas eu d’éducation à la santé et à la bonne utilisation des services de soins. Cessons de désigner le secteur privé comme le responsable de tous les maux du public. Nous ne nous laisserons pas désigner comme bouc émissaire d’une situation dont nous ne sommes pas responsables.

Rappelons en outre qu’au travers des regroupements, beaucoup d’établissements privés sont devenus des « hôpitaux privés » avec des services d’urgences (malgré beaucoup de refus d’autorisation au privé sur la pression du service publics), des maternités, des services de réanimation et de soins critiques, avec des lignes de gardes, trop faibles en nombre, et non rémunérées,

3.      Les écarts supposés de rémunération entre les secteurs

Nous n’entrerons pas dans la discussion sur la charge de travail. Il est simple de connaître au travers des données administratives (PMSI et données de l’ATIH) qui fait quoi comment et dans quels types de pathologies et de populations. Nous en connaissons déjà les résultats.

Les départs récents de praticiens de tous âges vers le privé ne peuvent pas être attribués à la différence de rémunération qui n’est pas une donnée nouvelle. Son écart a diminué depuis le Ségur de la santé qui a revalorisé les rémunérations dans le secteur public. Les médecins libéraux doivent assumer des charges importantes à titre personnel. Ils doivent financer eux-mêmes leur outil de travail, leur personnel, leur prévoyance et leur retraite.

Il existe une vraie désorganisation de l’hôpital public. Elle s’est progressivement installée avec l’instauration de la nouvelle gouvernance et a explosé avec la crise COVID.   Ces praticiens, dont des professeurs, qui quittent l’hôpital veulent retrouver un environnement efficace. L’organisation en secteur libéral est tournée vers l’efficience de la prise en charge et cette vision reste encore partagé par tous. La mise en place de nouveaux projets, de nouvelles organisations, l’acquisition de nouveaux matériels sont plus simples dans le secteur libéral, grâce à des circuits de décision plus courts, malgré des budgets plus limités.  Cette évidence frappe tout nouvel installé en libéral.

Les patients eux-mêmes s’y retrouvent, avec des temps d’attente réduits, des circuits optimisés, une qualité des soins largement présente. Pour preuve, les parcours de récupération améliorée après chirurgie (RAAC) et la chirurgie ambulatoire sont significativement plus développés dans le secteur libéral.

Quant à la rémunération, dans le secteur privé parlons-en, sans tabou. Elle est déterminée par l’activité et non par l’ancienneté. C’est une différence qui peut expliquer le sentiment d’injustice des plus jeunes à l’hôpital public. Notre métier, pour la plus grande majorité, est de soigner.

Le « Ségur de la santé » a-t-il concerné tous les soignants ? Les personnels du privé vont-ils mieux que leurs collègues du public ? Ils ont la même charge de travail, la même pénibilité et des salaires bien inférieurs.

Monsieur le Ministre, vous êtes-vous préoccupé de ces soignants ? Avez-vous réfléchi à ces hommes et ces femmes qui travaillent dans notre secteur libéral, qui sont salariés, qui nous accompagnent quotidiennement et qui ont été les grands oubliés de cette crise. Le rattrapage doit être une priorité.

Surtout ne pensez pas que l’avenant N°9 de la Convention a représenté le pendant du Ségur de l’hôpital public ! Si c’était son but, on peut clairement dire que vous avez raté la cible.

Tuer le secteur libéral, Monsieur le Ministre, c’est augmenter les dépenses d’assurance maladie, c’est augmenter le reste à charge pour les patients, c’est engorger encore plus l’hôpital et générer des files d’attente interminables !

Tuer le secteur libéral, Monsieur le Ministre, c’est dégrader la prise en charge des patients et aggraver encore plus les déserts médicaux, en ramenant tous les médecins dans les villes déjà pourvues d’hôpitaux.

La récrimination du manque de moyens financiers ! Aujourd’hui, 12% du PIB sont dédiés à la santé. Cela pose la question de sa répartition. Rappelons que 120 sur 927 établissements MCO déclarent moins de 1500 actes par an soit en moyenne 4 actes par jour. Comment peut-on maintenir des plateaux techniques lourds dans ces conditions, alors que ces moyens auraient pu être alloués plus efficacement ?

La crise COVID a décompensé les faiblesses de notre système de santé français en souffrance depuis des années suite au manque de réforme de grande ampleur. La désaffection du personnel paramédical et médical concerne de la même façon les deux secteurs.

L’évolution des mentalités et des besoins de nos soignants, non prise en compte pendant de longues années est en train de faire exploser la totalité de notre système de santé. Vouloir s’occuper d’un secteur sans l’autre est une ineptie à l’image des mesures portées dans la crise COVID. Seul un diagnostic complet et global amènera un traitement efficace et pertinent.

Le remède doit être adapté à tous. Il faut aujourd’hui refonder, restructurer notre système de soin à partir d’une analyse partagée dans un respect mutuel en évitant les contrevérités et les préjugés hostiles. L’État doit écouter les soignants, et non les fédérations hospitalières ou les administratifs qui ne représentent en aucun cas les professionnels de santé. Écoutons les usagers, donnons plus de transparence aux données réelles.

Aujourd’hui, nous avons besoin d’un Grenelle de la santé où la totalité des représentants des professions de santé et des usagers soient présents, écoutés et entendus.

Nous vous prions d’agréer, Monsieur le Ministre, l’expression de toute notre considération.

Patrick Gasser,
Président d’Avenir Spé

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