De l’inutile complexité de la NGAP… à six principes de base simples
Comme en 2015, Avenir Spé s’est engagé dans une analyse approfondie des bases de données de l’Assurance maladie pour connaître la réalité des pratiques de codage et établir un modèle de projection budgétaire en vue des négociations conventionnelles 2023.
L’année de référence est 2019, dernière année « normale » avant l’épidémie de COVID.
Une complexité effarante
Sur le site AMELI figure un tableau des codes NGAP se rapportant aux consultations : il comporte 91 lignes. Tous ces codes répondent à d’innombrables règles d’association, selon la spécialité, le secteur d’exercice, les paramètres temporels (urgence, consultations de nuit, de week-end…), la distance parcourue en visite, des majorations spécifiques pour certaines affections, l’âge du patient, l’hospitalisation ou non…
L’an dernier, nous avons procédé à une analyse des honoraires enregistrés dans les bases SNIIRAM. Au premier tri, nous avons dénombré 427 références ! Après filtrage, nous avons vu que 7 références concentraient 88 % des honoraires et 76 références constituaient 11 % des honoraires. Le reste était infinitésimal.
À présent, nous avons repris ce travail sur la base des volumes, c’est-à-dire du nombre de codages enregistrés. Bien sûr, nous faisons des constatations similaires. A titre d’exemple, en pédiatrie, nous avons trouvé 30 lignes de codes répondant à un « cut off » de plus de 1000 codages. Ils se répartissaient de la manière suivante :
Ceci reflète bien la dispersion des codes sur des volumes très faibles par rapport à l’immense majorité des pratiques. On retrouve des données similaires en analysant l’ensemble des autres spécialités.
Pourquoi cette complexité apparemment inutile ?
L’historique des négociations explique, en partie, que l’on soit arrivé à cette situation.
Au départ, il n’y avait qu’une lettre-clé C pour toutes les consultations de tous les médecins. Puis l’on a différencié C et CS. Puis l’on a introduit la C2, initialement réservée aux anciens internes de CHU. La promotion du Parcours de soins a conduit à réserver ce C2 aux patients adressés par leur médecin traitant, tout en interdisant le suivi ultérieur par le médecin spécialiste.
Le lien arithmétique entre C et C2 poussait à un saupoudrage des abondements budgétaires, les spécialistes se disant que le gain serait double pour eux. La dernière convention a transposé le C2 en Avis ponctuel de consultant (APC), décorrélé de la lettre C.
La valeur du C a progressivement rejoint celle de la CS. En parallèle, ont été mises en place différentes majorations, sous le prétexte de valoriser la coordination dans le parcours de soins, puis pour d’autres motifs de plus en plus éclectiques : urgences, moment de la journée ou de la semaine, âge du patient (enfant, personne âgée), pathologie…
La volonté de la CNAM était de remplacer une distribution uniforme des budgets par une distribution ciblée visant à influer sur le comportement des médecins.
L’approche « populationnelle » de la CNAM
Lors de chaque négociation à propos d’une majoration, la CNAM a fondé ses estimations sur les populations ciblées : diabétiques, mélanomes, retards du neuro-développement, par exemple. Chaque fois, elle a raisonné comme si tous groupes épidémiologiques allaient bénéficier de manière immédiate et homogène de consultations majorées. Bien sûr, ceci a conduit à surestimer les budgets prétendument alloués et à réduire d’autant l’impact des majorations.
Le faible succès des consultations complexes et très complexes le confirme.
Avenir Spé adopte une démarche inverse. Nous étudions les codages existants pour reconstituer un budget analytique et construisons un modèle permettant des projections budgétaires à partir de différentes options.
Tarifs opposables et secteurs d’exercices : l’imbroglio
Raymond Barre avait créé le Secteur 2 sur la base d’un constat objectif : la CNAM n’avait pas les moyens de suivre l’évolution naturelle des tarifs médicaux. Chaque secteur avait ses avantages et ses inconvénients, les médecins pouvaient se déterminer tous les 2 ans. Cette logique a été rompue en 1989 lorsque les « fenêtres conventionnelles » ont été supprimées. Les médecins de Secteur 1 ont été condamnés à y rester pour toute leur carrière…
En parallèle, une succession de mesures ont été prises pour limiter l’accès au Secteur 2. La nécessité d’être ancien chef de clinique – assistant, puis l’introduction de restrictions tarifaires successives imposées à chaque négociation, ce qui explique leur caractère inhomogène et assez kafkaïen.
Au final, ce ne sont pas tant les médecins de Secteur 2 qui ont été pénalisés, mais les patients car l’offre de soins n’a cessé de se réduire tandis que la demande régulièrement augmenté.
Résultat : une impasse ingérable
En 2016, nous espérions que nos propositions de hiérarchisation des consultations aboutiraient à un dispositif équitable, favorisant un rattrapage significatif des spécialités dites « cliniques ». Il n’en a rien été. Au contraire, nous avons devant nous un maquis inextricable de conditions réglementaires, alors que la pédiatrie et d’autres spécialités continuent de se paupériser.
C’est insupportable. On ne peut plus continuer dans cette voie !
Il faut un choc de simplification !
1er principe : des tarifs de remboursement identiques pour tous les patients
Le conditionnement tarifaire au secteur d’exercice doit être supprimé. Un acte doit être tarifé pour ce qu’il est (son contenu, sans durée, sa difficulté) et non en fonction du statut conventionnel du médecin. Au moment où tout le monde déplore la raréfaction de l’offre médicale, il est contre-productif de chercher encore à stigmatiser les médecins en Secteur 2 en pénalisant leurs patients.
2ème principe : trois niveaux hiérarchiques bien différenciés
Il faut en finir avec la CS à 23 euros, qui est une insulte aux compétences du médecin. Il faut arrêter de couper les cheveux en quatre avec des tarifs à deux décimales. Il est absurde d’avoir une « consultation complexe » à 46 euros valant moins qu’un « avis ponctuel de consultant », d’avoir des pédiatres moins bien rémunérés que les spécialistes en médecine générale.
Nous proposons de travailler sur la base d’une terminologie nouvelle, rapportée à des niveaux de référence existants, mais probablement à réévaluer au niveau de tarifs cibles, dont nous ne discuterons pas ici :
- Niveau 1 : consultation de suivi spécialisé.
- Référence : CS+MCS+MPC = 30 euros.
- Inclusion : toutes les consultations ne relevant pas des niveaux 2 ou 3
- Niveau 2 : consultation d’expertise spécialisée
- Référence : APC = 55 €
- Inclusion : toutes les consultations de 1ère fois pour une pathologie nouvelle, les consultations complexes existantes, les consultations de contraception-prévention, les temps-clés d’un programme de soins validé dans chaque spécialité (cette notion pourrait se substituer au critère purement quantitatif de 3 à 4 APC par an)
- Niveau 3 : consultations spécialisées complexes
- Référence : CCE = 60 euros, à certainement revaloriser de manière significative
- Inclusion : consultations « très complexes » existantes, consultations pour des affections neurologiques ou psychiatriques (en intégrant pédiatres, MPR, internistes…), consultation cardiologique de 1ère fois, autres cas à préciser…
3ème principe : un nombre restreint de majorations transversales
L’étude de simulation de codage que nous avons réalisée en 2017 (SPECODE) a bien montré qu’il existait des critères communs aux différentes spécialités, justifiant une majoration tarifaire. Il s’agit surtout de critères temporaires (urgence, nuit, week-ends…).
Pour encourager l’implication dans l’accès aux soins des personnes en situation de handicap et la couverture territoriale, on pourrait aussi définir des majorations liées à ces critères.
4ème principe : séparer l’information épidémiologique et la tarification
Vouloir mêler des indications épidémiologiques à la tarification n’est pas une bonne méthode. On n’en tirera que des informations biaisées et sans intérêt opérationnel tandis que l’utilisation des codes ainsi générés finit par être découragée, tant ils sont complexes à appliquer.
À côté d’un dispositif tarifaire simple d’utilisation, il est possible de concevoir un outil d’information épidémiologique, comme il en existe dans le PMSI, dont les données devront être confiées à une instance indépendante, garante d’une utilisation éthique et impartiale des données.
5ème principe : valoriser le tout en 1 temps : consultation + acte technique
Les actes CCAM ont été scorés selon le principe « diagnostic et indication posés ». La dimension clinique devait être valorisée en complément. Cela n’a jamais été le cas, sauf pour quelques exceptions.
L’interdiction d’associer l’acte de consultation à un acte CCAM est un encouragement à faire revenir le patient pour effectuer les actes techniques de diagnostic ou de traitement en une ou plusieurs fois. Ceci allonge les délais de prise en charge et les arrêts de travail, multiplie les frais de déplacement et augmente la charge administrative.
Il faut donc encourager les prises en charge « tout en une fois » en valorisant l’activité clinique combinée à une activité technique. Cela peut prendre plusieurs formes : l’autorisation d’associer différents codes NGAP et CCAM, la définition de forfaits ou le sur classement dans le système de consultations à 3 niveaux. Cela doit être étudié plus à fond et négocié.
6ème principe : pas d’acte ou de spécialité perdante
Si un acte a actuellement une valorisation intermédiaire, trop éloignée pour un rattrapage immédiat vers le niveau de tarification supérieur, il faudra lui conserver sa valeur actuelle jusqu’à ce que le niveau inférieur l’ait rattrapé. Toutes les spécialités doivent trouver un bénéfice à adhérer au nouveau dispositif et aucune activité ne doit y être pénalisée.
Conclusion
S’accorder sur ces points fondamentaux est une étape essentielle pour construire une négociation conventionnelle vraiment constructive et porteuse de solutions au développement de la médecine spécialisée, incontournable dans la réponse aux besoins de santé de la population.