La psychiatrie, le spectre des plateformes :
La psychiatrie connait depuis des années un profond remaniement de ses repères professionnels. La maladie mentale s’efface devant les « troubles « de la santé mentale. Les spectres envahissants étendent leur ombre.
La nosographie connait le paradoxe de se réduire et de devenir envahissante. La maladie bipolaire est devenue le diagnostic le plus banal de la psychiatrie adulte ce qui n’empêche pas encore d’entendre que c’est, aujourd’hui, toujours une maladie sous-diagnostiquée ! En cabinet, l’impression clinique plutôt que c’est un sur-diagnostic sur-médiqué qui donne un second souffle aux anti-épileptiques. Les troubles de l’humeur ont toujours existé mais parmi d’autres maladies. De nombreux patients hospitalisés, qualifiée de bipolaires, se retrouvent avec des traitements à la posologie ahurissante. Le psychiatre libéral peut alors connaitre la joie simple d’enlever des camisoles chimiques et d’assister à des retours à la vie de patients drogués. Un mauvais diagnostic et une mauvaise prescription entrainent des effets dévastateurs dans la vie d’une personne. Des troubles de l’humeur, de l’agitation, des idées suicidaires peuvent être induit par de trop fortes doses de thymorégulateurs.
Le diagnostic n’est plus médical mais social. Les enfants TDA/H sont envoyés dans les centres TDA/H, les troubles du spectre autistique dans les centre Autiste. Les troubles neuro développementaux dans des centres TND. Les diagnostics sont sans surprise. La schizophrénie se prépare à connaitre cette profonde mutation pour quitter le champ de la maladie et devenir un trouble. Bref, les centres experts et les plateformes servent à confirmer et trier comme dans toute entreprise de logistique commerciale. .
La psychiatrie vit un rétrécissement de sa clinique. À ce rythme, nous aurons toute la pathologie sur un timbre-poste dans peu d’années.
Pourquoi cette évolution ?
La psychiatrie est une discipline complexe qui constate que les pathologies pouvaient évoluer chez un patient et même disparaitre. Les moyens thérapeutiques sont aussi très divers et les patients peuvent se sentir mieux soigner dans des approches diverses : médicamenteuse, psychodynamique, psychanalytique, cognitive et comportementale, EMDR etc.
Hélas, les soins psychiatriques sont devenus le premier poste des dépenses de santé. Pour les mutuelles, les assurances, le monde financier et l’industrie pharmaceutique, il était temps d’influencer, souvent au prix d’avantages généreux, des politiques et des professionnels de la psychiatrie. Transformer une maladie en handicap fait que les soins sont moins nécessaires donc moins couteux. Le calcul est simple et efficace mais basé sur des vérités scientifiques de bonimenteurs.
Les psychiatres libéraux sont sans doute les plus placés pour témoigner de la richesse clinique qui existe et faire les soins les plus appropriés. Ils sont les mieux placés pour distinguer le soma du psychisme et de l’intrication entre les deux. La clinique oblige, souvent, à s’éloigner des limites diagnostiques et découvrir, sans cesse, de nouveaux espaces chez nos patients. Les variétés cliniques et thérapeutiques se font à l’infini. Chaque consultant est une découverte. Il faut toujours apprendre et bousculer ses convictions. Les étiquettes diagnostiques technico-commerciales, qui ne sont pas faites pour soigner, atténuent la qualité des soins. La psychiatrie privée, dans la diversité de ses approches, se doit de garder une exigence diagnostique et thérapeutique.
Le clinicien, psychiatre, comme tout médecin confronte, sans cesse, la limite de ses connaissances à l’infini du soin.
Dr Michel Jurus