L’Anatomie et cytologie pathologique : une spécialité laissée de côté

Par Philippe Camparo, Membre d’Avenir Spé

Président du Syndicat des Médecins Pathologistes Français

 

Aux dires du président de la CNAM, la dernière convention nationale organisant les rapports entre les médecins libéraux et l’Assurance maladie est une convention « très ambitieuse ». Il en est convaincu, « elle répond aux enjeux majeurs que sont l’attractivité de la médecine libérale et l’accès aux soins ».

En voici les grandes lignes :

  • une revalorisation de la consultation du médecin généraliste à 30 euros hors majorations spécifiques soit +20% depuis 2017
  • une redéfinition des conditions d’application des Avis Ponctuel de Consultant (APC) pour les médecins spécialistes
  • un élargissement des spécialités pouvant bénéficier de l’aide à l’embauche d’assistants médicaux
  • une revalorisation des actes CCAM avec hausse du coefficient de conversion de 3 centimes, pour tous les actes dont la valeur est inférieure ou égale à la valeur cible (fixée par la CNAM)

Mais… pour les pathologistes ? Rien !

  • Pas de hausse du prix de la consultation : c’est une spécialité exclusivement médico technique. Pas d’accès aux assistants médicaux : l’anatomie et cytologie pathologique (ACP) est exclue des spécialistes pouvant en bénéficier. Pas d’acte médico-technique revalorisé, les valeurs cibles des actes de cette spécialité n’ayant pas été établis par la CNAM, personne ne peut dire si les tarifs inscrits à la CCAM leur sont supérieurs, ou pas !

 

Pourtant l’ACP, avec ses 650 praticiens à activité libérale exclusive (versus environ 1000 pathologistes travaillant en secteur public), assure un accès aux diagnostics constant sur l‘ensemble du territoire, notamment en cancérologie. Pourtant par son implication dans le dépistage du cancer du col de l’utérus, du sein et du colon elle participe activement à la politique de prévention.

Pourtant par son recours aux techniques innovantes de pathologie moléculaire et ses investissements dans la pathologie assistée par intelligence artificielle elle se tourne résolument vers des moyens diagnostiques d’avenir et de progrès, source d’attractivité et de performances.

 

L’ACP attendait peu de cette convention, parce qu’elle en a l’expérience et parce que l’essentiel, lui promet-on, devrait se discuter en 2026 grâce (?) au travail entrepris par le Haut Conseil de la Nomenclature. Elle est pourtant… déçue et c’est un euphémisme.

Ce zéro pointé est une énième couleuvre qui passe mal.

 

On rappellera que dans cette spécialité médicale :

  • un médecin pathologiste emploie entre 7 à 10 personnes pour faire fonctionner son cabinet : coursiers, techniciens, secrétaires, agents d’entretien, cadres… dont chacun réclame régulièrement et à juste titre une amélioration de sa grille indiciaire ;
  • le coût des consommables nécessaires à son activité diagnostique (fixateurs colorants réactifs …) a progressé de 400% entre 2017 et 2023 dans un marché de petite taille où nombre de fournisseurs ont constitué des monopoles ;
  • les contraintes administratives sont de plus en plus nombreuses et coûteuses : accréditation, hygiène et sécurité au travail, élimination des déchets, développement durables, sécurité informatique…

 

Ainsi le taux de charge est si élevé et en progression si importante que personne (sauf les pathologistes) ne souhaite l’évaluer.

 

De plus les techniques diagnostiques nouvelles (pathologie augmentée par IA, pathologie moléculaire…) poussées par les recommandations internationales et des sociétés savantes ou tout simplement par l’intérêt du patient nécessitent des investissements importants.

Le récent rapport sur la numérisation de l’ACP remis au dernier ministre de la santé (ou était-ce l’avant dernier ?) estime à 20% le surcoût de la numérisation.

Cent millions d’euros sont ainsi prévus par l’Etat pour la numérisation des services de pathologie hospitaliers, 0 euros pour le secteur libéral.

 

La tentation (notre crainte) est alors grande de voir succomber la spécialité aux charmes pervers de la financiarisation ou pire, disparaitre. Si l’État payeur ouvre enfin les yeux sur les risques d’une « libéralisation » de l’activité médicale « à but lucratif » (la terminologie ici nous interpelle, si elle ne nous fait pas sourire) en ne régulant pas la participation de fonds d’investissement au capital de cabinets médicaux (ACP, radiologues, ophtalmologues, après biologistes et bientôt cabinets de médecins généralistes) on lui rappellera qu’un financier est avant tout… un financier, concerné par la rentabilité de ses investissements.

Un médecin, hospitalier comme libéral même à but « lucratif » reste, contre toute attente (?), un soignant, concerné par la santé de ses patients, quel que soit le venin du lucre qu’on veuille bien distiller.

 

L’ACP est une discipline pivot. Certes elle n’est pas plus fondamentale que les autres spécialités médicales ou chirurgicales. Mais pas moins.

Rappelons que l’ACP libérale réalise à elle seule 70% des diagnostics de cancers et 30% de l’activité hospitalières par le truchement des appels d’offres.

Sans pathologie libérale, plus de dépistage libéral – coloscopie, frottis, mammographies…- plus de chirurgie du cancer libérale – sein, colon, mélanome, prostate et tant d’autres qui ne sont pas encore contraintes par des exigences administratives -, plus de radiothérapie libérale ni d’oncologie libérale, plus de soins, de suite de soins, de supports de soins compassionnels libéraux…

 

Avec un peu plus de 500 millions de dépenses en 2023, elle fait figure de petit ruisseau dans l’océan des 300 milliards de dépenses de santé. Lorsque le coût annuel d’une immunothérapie est évalué à 80 000 euros (observatoire cancer Institut Curie 2017), le coût d’un diagnostic théranostic fait par un ACP n’en apparaît que plus dérisoire.

Les promesses de sanctuarisation de 200 millions d’euros afin de revaloriser l’ensemble des actes CCAM en 2026 représente un petit peu plus de…1,4% du montant des dépenses CCAM en 2022. Pas même un cautère sur une jambe de bois.

Encore fallait-il accepter de signer, le bras tordu, la dernière convention pour avoir droit aux discussions à venir.

Encore faut-il ne pas oublier que les promesses n’engagent que ceux qui les croient.

Alors oui les enjeux étaient majeurs. Quant à l’ambition…

 

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