29 mars 2024,
Par le Docteur Thierry Bour,
Ophtalmologiste libéral,
Représentant d’Avenir Spé auprès du Syndicat National des Ophtalmologistes Français (SNOF)
Membre du bureau d’Avenir Spé
L’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) a relevé dans sa dernière étude « De la crise covid au choc inflationniste » sortie le 15 février[1] et portant sur la période 2019 – 2023, que « les revenus réels par indépendant ont fortement baissé sur la période (-19 %), avec un effet particulièrement marqué sur la période 2022-2023 (-12 %) ». Ce constat n’est pas retrouvé concernant le pouvoir d’achat des ménages dont les revenus s ‘appuient sur des emplois salariés ou des pensions de retraite.
Les médecins libéraux appartiennent aux professions indépendantes mais ont-ils suivi cette évolution négative et inquiétante ?
La CARMF (Caisse de retraite des médecins libéraux) avait mis en avant en novembre 2023 une baisse de pouvoir d’achat de 8,66% en moyenne pour l’année 2022 en se basant sur les BNC des médecins libéraux[2].
Certaines spécialités, comme la dermatologie, la gastro-entérologie, la gynéco-obstétrique ou l’anesthésie ont perdu plus de 10% en euros constants en cette seule année 2022 !
Cela s’ajoute à la funeste année 2020 des confinements qui avait vu une baisse de 8% des revenus de l’ensemble des médecins spécialistes libéraux, non compensée par une aide insuffisante (DIPA) des pouvoirs publics par rapport à celle dont avaient bénéficiés les établissements de santé et les centres de santé.
Les statistiques officielles indiquent pour l’année 2023 une croissance limitée à 2,7 % des honoraires, mais avec un taux d’inflation à 4,9%. Des répercussions négatives sur les revenus libéraux de 2023 sont donc fortement à craindre. Ces mauvais résultats sont bien sûr à mettre en relation avec la non-revalorisation des honoraires cliniques (NGAP) et technico-chirurgicaux (CCAM). La dernière Convention Médicale remontant à 2016 !
Depuis l’entrée en vigueur en 2017 des revalorisations de la dernière Convention Médicale, le taux d’inflation a atteint 16,6 %. Pire, la plupart des tarifs de la CCAM n’ont pas bougé depuis 2005, alors que l’inflation est de 36% depuis cette date. Plusieurs spécialités, comme l’anesthésie, la rhumatologie, l’ophtalmologie, la radiologie, la rhumatologie, ont vu leurs revenus en euros constants reculer de 25% en secteur 1 depuis 2017. L’inflation a par ailleurs engendré une forte augmentation des charges des cabinets libéraux (salaires du personnel des cabinets, énergie, consommables…).
Le tableau ci-dessous objective la baisse des revenus entre 2017 et 2022 :
Il faudra sans doute ajouter 5% de baisse de revenus pour 2023 dans chaque spécialité.
Ces chiffres confirment le constat de l’OFCE. Hélas, les médecins libéraux ne dérogent pas à la moyenne des indépendants. C’est une situation inédite. En effet, depuis 2005 et jusqu’en 2017, les revenus des médecins spécialistes croissaient lentement mais régulièrement[3].
Avenir Spé demande aux pouvoirs publics, à la CNAM et à l’UNOCAM, de prendre conscience de la gravité de la situation pour la médecine libérale spécialisée ! Celle-ci ne pourra faire face à ses missions et améliorer l’accès aux soins, demandée légitimement par la population, que si les mesures de réajustement des honoraires NGAP et CCAM sont à la hauteur de la situation à la fin des négociations conventionnelles.
Nous en sommes loin actuellement, notamment pour la CCAM qui représentent 80% des honoraires des médecins spécialistes !
[1] DE LA CRISE COVID AU CHOC INFLATIONNISTE Une analyse macro/micro du pouvoir d’achat en France (p.10). Policy Brief N°124 | février 2024. https://www.ofce.sciences-po.fr/pdf/pbrief/2024/OFCEpbrief124.pdf
[2] Informations de la CARMF n°71 – Décembre 2023. Les revenus des médecins. http://www.carmf.fr/page.php?page=doc/publications/infocarmf/71-2023/infocarmf.php?tete=actu02
[3] Drees. Etudes et Résultats, mars 2022, n° 1223