LES FAITS
Le docteur X conclut avec la Clinique Machin un contrat d’exercice individuel en 2007.
5 ans plus tard en 2012, il constitue avec trois collègues de sa spécialité une SELARL.
En 2014 la clinique ferme pour cause de regroupement et il est donc proposé aux médecins de poursuivre leur activité dans une autre clinique de la ville appartenant au même groupe.
Le Dr X n’est pas d’accord avec les nouvelles conditions d’exercice envisagées dans la nouvelle clinique.
En pourparlers, et sans doute pour faire pression… la Clinique notifie le 15 juillet 2014 à la SELARL la résiliation de son contrat verbal avec un délai de préavis de 6 mois expirant le 15 décembre 2014.
Le Dr X prend acte de cette rupture. Après une tentative de conciliation infructueuse, il assigne la Clinique M devant le TJ pour rupture abusive de son contrat d’exercice individuel pour non-respect du délai de préavis de 18 mois en fonction de son ancienneté d’exercice et sa condamnation principalement à lui payer en compensation une annuité de chiffre d’affaires calculée sur la moyenne des trois dernières années.
DEVANT LE TRIBUNAL
Pour s’opposer aux demandes du Dr X, la Clinique demande au tribunal de constater la caducité de son contrat individuel depuis son passage en SELARL, la constitution d’une SEL mettant fin à l’exercice personnel et individuel des professionnels qui la créent, soulignant que la prohibition du cumul d’exercice à titre individuel et en SEL était d’ordre public.
Le Dr X a rappelé qu’il était clairement précisé à son contrat d’exercice individuel que : « Ce contrat est un contrat sui generis conclu « intuitu personae » (en considération de la personne de chacun des co-contractants).
L’appartenance éventuelle à une société d’exercice professionnel, de quelque forme juridique qu’elle soit, n’emportera aucune altération au caractère personnel de la présente convention et ne confèrera aucun droit, de quelque nature que ce soit, à la structure professionnelle concernée sauf accord écrit des parties ».
Par conséquent, il résultait de ces stipulations contractuelles expresses que les parties ont anticipé l’hypothèse d’un exercice du praticien en SEL, qu’elles ont fait le choix de refuser une substitution de plein droit du praticien par la SEL dans ses rapports contractuels avec la clinique au profit de la survivance du rapport contractuel individuel.
Cette clause a pour effet de maintenir le lien contractuel antérieur entre le Dr X et la Clinique si le praticien venait à exercer ultérieurement en société puisque loin de prévoir sa résiliation comme conséquence il est expressément prévu que cela n’entrainera « aucune altération du caractère personnel » de la convention.
LE JUGEMENT DU TRIBUNAL JUDICIAIRE
Après avoir rappelé que l’article 10 du contrat individuel prévoyait le droit d’association du Dr X, le tribunal constate que l’exercice en société était expressément prévu par le contrat sans entrainer nullement sa résiliation ou sa caducité. Le tribunal indique : « Ainsi quelque soit l’éventuel contrat verbal ayant pu s’établir entre la SELARL et la Clinique …un lien personnel et sui generis s’est maintenu selon les termes du contrat de 2007 passé entre la Clinique et le Dr X car la constitution avait été anticipée … »
Le délai de préavis de 18 mois n’ayant pas été respecté, son non-respect ouvre droit à une indemnité à la charge de la partie défaillante.
Le tribunal a donc condamné la Clinique à payer une somme de 100.000 euros mais inférieure à ce que prévoyait les clauses du contrat en ce cas : au lieu de la moyenne de la totalité des honoraires réalisés par le praticien au sein de la Clinique au cours des trois dernières années telle qu’établie par les relevés SNIR (hors dépassements), le tribunal prenant en compte les revenus du Dr X par la suite les a déduits de son bénéfice antérieur pour déterminer son manque à gagner effectif.
La clinique a fait appel du jugement ainsi que le médecin en ce qui concerne le montant de l’indemnité qui lui a été allouée.
LA COUR D’APPEL
Chacune des parties a repris les mêmes arguments en appel.
Le Docteur X a demandé à ce que lui soit allouée une indemnité calculée comme cela était prévu à son contrat, faisant valoir notamment que toute indemnité en compensation d’un préavis non effectué était considérée fiscalement comme un chiffre d’affaires, soumis en conséquence à charges sociales, et non pas comme un revenu net.
Cette différence de statut, plus le décalage des charges sur l’année suivante, expliquait le mode de calcul de l’indemnité prévue classiquement au contrat et dont il demandait l’application.
La Cour a confirmé le jugement en ce qui concerne la rupture de contrat et le défaut de respect du préavis par la Clinique mais l’a réformé en ce qui concerne le montant de l’indemnité due au praticien en faisant application du mode de calcul contractuellement prévu pour allouer une somme de 315.000 euros. BINGO !
LA COUR DE CASSATION
La Clinique a formé un pourvoi en cassation en reprenant les mêmes arguments juridiques, notamment en se référant encore une fois au caractère d’ordre public des dispositions concernant les SEL.
La Cour de cassation constatant que les moyens de cassation développés à l’encontre de l’arrêt de la Cour d’appel n’étaient manifestement pas de nature à entraine la cassation et a rejeté le pourvoi.
CE QU’IL FAUT RETENIR
Tout projet de passage en SEL doit faire interroger sur le sort des contrats individuellement conclus avec la Clinique par les futurs associés. Est-il prévu, comme dans le cas ci-dessus, une clause prévoyant expressément l’inopposabilité à la Clinique de la SEL constituée ultérieurement par le praticien et le maintien de son contrat individuel ? A défaut de cette clause, le passage en SEL va entrainer de facto la caducité du contrat individuel et si la SEL ne bénéficie pas d’un contrat écrit avec la Clinique, il n’y aura plus la place que pour un contrat verbal.
Antérieurement au passage en SEL, il est utile d’en informer la Clinique et de lui demander son accord pour la cession de son contrat d’exercice individuel à la SEL qu’il va constituer. En cas de refus de la Clinique, le contrat demeurera caduc, sauf si celle-ci précise à cette occasion que, pour sa part, elle maintient le caractère individuel et intuitu personae de la relation contractuelle.
Le passage en SEL n’est pas un acte anodin, il a des conséquences juridiques qui doivent être anticipées avec un avocat spécialisé ne connaissant pas seulement les aspects fiscaux et comptables mais aussi les réalités de l’exercice des praticiens.
Philip COHEN
Avocat à la Cour
Avocat à la Cour
Cabinet AUBER
philipcohen@cabinetauber.fr
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Marie-Christine DELUC
Avocat à la Cour
Cabinet AUBER
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mcdeluc@cabinetauber.fr