La désillusion des négociations conventionnelles (SNOF)

MOT DU PRESIDENT DU SNOF

 

 

La désillusion des négociations conventionnelles

2023 devait être l’année de la nouvelle Convention médicale, elle restera probablement pour la médecine libérale comme étant celle du règlement arbitral. Celui de 1998 à 2005 avait laissé de mauvais souvenirs aux médecins spécialistes, celui de 2010 ne fut qu’un passage court entre deux conventions.

Les espoirs étaient grands des deux côtés vu la prolongation de deux ans de la Convention de 2016 et le contexte particulier créé par la pandémie. Après l’implication des médecins dans la lutte contre le Covid et l’effort fait par les pouvoirs publics pour les hôpitaux dans le Ségur de la Santé, il fallait envoyer également des signaux positifs pour la médecine de ville. Celle-ci est en train de se prendre de face les effets de l’inflation, après avoir été sous-considérée lors des épisodes de confinement dus au Covid. Ainsi, la médecine libérale n’a été aidée que sur ses charges et non sur l’ensemble du chiffre d’affaires comme pour les établissements de santé et les centres de santé (y compris pour les actes fictifs ou inutiles…). Pire, un nombre non négligeable de confrères ont dû rembourser une partie des aides, alors que leur chiffre d’affaires et leurs revenus étaient en baisse sur l’année 2020 ! La profession doit aussi faire face à une irruption de la financiarisation, avec des tentatives de rachat ou de captation de patientèle comme nous avons pu le constater avec certaines chaînes de centres de santé, entraînant dans leur sillage des investisseurs divers et extérieurs au monde de la santé.

Cette convention aurait dû voir apparaître des innovations comme les E.S.S. (équipes de soins spécialisées), les nouvelles aides pour les zones sous-dotées, l’accélération du déploiement des assistants médicaux et du numérique, le remplacement de la ROSP par le forfait de santé publique, l’affirmation des mesures concernant le SAS et les soins non programmés, une base de remboursement identique entre secteur 1 et secteur 2. Et puis surtout, la revalorisation des différentes consultations dans un schéma à trois niveaux pour compenser l’inflation galopante et aussi remettre à flot les spécialités en bas de l’échelle (pédiatres, psychiatres, médecins généralistes par exemple).

Malheureusement, la CNAM avait décidé de mettre l’essentiel des revalorisations dans le cadre d’un Contrat d’Engagement Territorial (C.E.T.) bancal, mal ajusté, aux conséquences non évaluées. Une revalorisation socle de 1,5 € était proposée pour toutes les consultations, avec une mise en application seulement fin 2023. Puis, pour atteindre 3,5 € complémentaires pour la CS et l’APC, il fallait répondre à au moins 4 critères pris parmi 17, lesquels devaient montrer l’effort de chacun pour une meilleure prise en charge des patients sur les territoires. Cela pouvait sembler simple au premier abord. Dans les faits, c’était mission impossible vu le refus de l ‘Assurance Maladie de reconnaître certains indicateurs essentiels déjà effectifs pour une part importante des médecins libéraux. Ainsi, dans le premier « pavé », seuls les 30% des médecins les plus actifs cochaient d’emblée la case. Les autres devaient travailler au moins 220 jours par an (mais une bonne partie étaient déjà dans les 30% les plus actifs) ou augmenter tous les ans leur file active de plus de 2% et ceci de façon pérenne. Comment faire ? En embauchant par exemple un assistant médical financé en partie par l’Assurance Maladie, mais en pratique leur nombre doit augmenter de 3 000 /an, soit moins de 3% du nombre de médecins libéraux.

On voit que les possibilités de cocher ce premier pavé ne pouvaient augmenter que lentement, en laissant donc de côté plus de la moitié des confrères le temps de la Convention ! Le 2ème pavé excluait lui une bonne partie des secteurs 2 en rendant obligatoire un taux d’opposabilité à 40 %. Quant au 3ème pavé, il n’était accessible aussi qu’à une minorité vu le faible développement actuel de certains critères (accueil d’un interne, SAS, CPTS, ESS, IPA…) : ainsi il n’y a qu’une centaine d’infirmiers de pratiques avancées (IPA) en libéral pour mille fois plus de médecins ! Pour couronner le tout, le C.E.T. n’entrait en fonction qu’en octobre 2024, alors qu’il y avait urgence à améliorer l’offre de soins d’après nos interlocuteurs !

Parallèlement aux négociations se déroulait au Parlement un étonnant ballet de propositions de loi (Rist, Valletoux) cherchant à influencer plus ou moins ouvertement le cours des négociations et contraindre les syndicats à signer. Là aussi, c’était une première qui ne pouvait qu’entraîner des manifestations et des réactions vives de la part des médecins, voire des intentions de déconventionnement.

Le principe du C.E.T. pouvait se défendre, mais encore fallait-il qu’il y ait des critères accessibles à tous, quitte à faire quelques efforts. Mais ici, c’était hors de portée. Pourquoi par exemple, ne pas inclure un indicateur pour les médecins ayant embauché un assistant paramédical (orthoptiste, IDE…) hors contrat CPAM, ou qui ouvraient des créneaux de consultation le samedi matin, comme cela était proposé pour les généralistes ? De nombreuses propositions ont été faites et rejetées… La vraie raison est hélas apparue à la fin des négociations : la CNAM cherchait à faire des économies sur le dos des médecins en profitant du levier de l’inflation. D’où la mise en route retardée des revalorisations, qui ne pourraient de plus s’appliquer, pour les plus importantes, qu’à une fraction des médecins. Les pouvoirs publics proposaient pour la première fois une convention à 2 étages, au sein d’un même secteur d’exercice ! La réaction des syndicats horizontaux, même pour les plus conventionnistes, ne pouvait être que celle du rejet. Comment un syndicat aurait-il pu apparaître comme ayant défendu ses adhérents en acceptant un tel dispositif ? C’est un véritable gâchis. Des mois de préparation et d’échanges ont été balayés par un tableau bâclé, indigne de l’événement.

Le processus du règlement arbitral s’est mis en route dès le 1er mars. Il est difficile de dire à ce stade ce qu’il contiendra, quelles seront les pertes par rapport au projet conventionnel. En théorie il peut durer 5 ans, mais c’est intenable. L’union syndicale Avenir Spé – Le Bloc demandera la remise en route de négociations conventionnelles sur de nouvelles bases dès la promulgation du règlement arbitral. Il y a des évolutions qui ont besoin du cadre conventionnel pour se développer et les médecins libéraux ont des charges qui montent (achats, énergie, personnels demandant légitimement des augmentations…) comme pour les autres secteurs. Il faut que les pouvoirs publics prennent conscience des véritables enjeux pour la médecine libérale et les patients. On ne peut pas adapter et réformer un secteur sans y consacrer les crédits nécessaires.

Cet échec des négociations conventionnelles fait suite à celui récent avec les masseurs-kinésithérapeutes. Si cela continue, le gouvernement va finir par prouver son incapacité à contractualiser avec les professionnels de santé.

Il faut sortir de cette spirale !

Le SNOF, lui, vient de prouver qu’en se fédérant avec intelligence, on peut aboutir à des résultats. En assignant, avec le soutien du CNOM et de la CNAM, les quatre fournisseurs d’accès à internet (FAI) français (Orange, SFR, Free et Bouygues), il a obtenu le blocage du site internet ophtalmos.io sur le territoire français. C’est une première dans le domaine de la santé, encore une à mettre à l’actif du SNOF, et la seconde tous secteurs confondus après le blocage d’un site révisionniste pro-nazi il y a un an par le Tribunal de Paris. Après un travail de préparation important, le jugement a été rendu avec une célérité remarquable : assignation en octobre 2022, plaidoirie en décembre, jugement en janvier 2023 et application sans restriction de celui-ci par les 4 FAI fin janvier – début février. Pour une fois, une décision de justice est claire, mise en application rapidement et ne donne pas lieu à appel ! Que reprochaiton à ce site ? De vendre de vraies-fausses ordonnances de lunettes et lentilles de contact avec signature de médecins européens dont l’identité était usurpée et sans qu’il n’y ait le moindre contrôle sur les données transmises via le site internet ; une feuille de « soins à l’étranger » était même émise pour demander un remboursement à l’Assurance Maladie ! Là, comme dans d’autres situations, l’alibi est l’usage de la télémédecine, d’une téléconsultation affichée, mais inexistante dans les faits. Plusieurs dizaines de milliers d’ordonnances ont été émises. Vous trouverez les détails dans le communiqué de presse et l’analyse juridique du jugement par Christine Estève dans le dernier numéro de la ROF.

Neuf mois après la parution du décret sur la primo-prescription par les orthoptistes des équipements optiques entre 16 et 42 ans, l’arrêté listant les contre-indications à cette primo-prescription est enfin paru. Mais il ne concerne que les lunettes pour l’instant. Il faudra sans doute encore attendre plusieurs mois pour que l’arrêté complémentaire sur les lentilles de contact souples suive. Tout ceci montre, comme nous l’avions dit au ministère en 2021, que cette mesure était plus compliquée à mettre en place que ce qu’ils imaginaient. Ce laps de temps a permis de prévoir un encadrement que nous espérons correct et efficace. Il faut souligner l’apport efficace et constructif du Conseil National Professionnel d’Ophtalmologie présidé par le Pr Béatrice Cochener lors des discussions. Ces nouvelles dispositions pour les orthoptistes peuvent bien sûr être mises en application dans les cabinets d’ophtalmologie et s’insèrent dans un ensemble de règles de collaboration entre orthoptistes et ophtalmologistes précisées récemment et qui sont rappelées dans le Coin des Cotations. La PPL sur l’encadrement des centres de santé dentaires et ophtalmologiques continue son cheminement parlementaire. Le vote au Sénat, de nouveau à l’unanimité, a permis de nouvelles avancées importantes. La 2ème lecture à l’Assemblée nationale est prévue le 22 mars, puis le Sénat suivra rapidement et la loi sera validée. Le monde évolue et change continuellement, pas toujours avec la linéarité et l’efficacité que l’on espère, mais soyez assurés que le SNOF et votre serviteur déploient toute leur énergie pour gérer au mieux les intérêts des ophtalmologistes et des patients dans ce contexte.

Dr Thierry Bour, président du SNOF

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