La CLIO-thérapie ne sauvera pas notre système de santé

Le Dr Jean-Pascal Devailly, le 01/11/2022

Dans un article récent d’Egora le président du Conseil National de l’Ordre des Médecins (CNOM) a été interviewé à propos de la tourmente syndicale déclenchée par la participation de l’Ordre au Comité de Liaison des Institutions Ordinales (CLIO). Il était selon lui impensable de laisser la chaise vide lors des travaux du CLIO. Le CNOM estime qu’au-delà de la déontologie et de l’éthique il lui appartient aussi de se positionner sur l’amélioration des soins des patients dans une période difficile.

S’étonnant des réactions des syndicats le CNOM soutient avoir défendu le rôle central du médecin dans la coordination du parcours. Pourtant les syndicats de médecins lui reprochent d’être largement sorti de ses prérogatives et de s’être laissé piéger par sa participation au CLIO, dont le Conseil national de refondation santé (CNR), attend qu’il redéfinisse le partage de responsabilités entre professionnels de santé.

La proposition de loi Rist et l’accès indirect aux médecins

La situation est d’autant plus tendue que la proposition de loi portant amélioration de l’accès aux soins par la confiance aux professionnels de santé déposée en octobre par Stéphanie Rist et Aurore Bergé sera discutée fin novembre. Stéphanie Rist est décidée à accélérer la mise en œuvre de « l’accès direct » à plusieurs professions paramédicales en s’appuyant sur les travaux du CLIO ( article du QdM).

Le terme « d’accès direct », un attracteur étrange autant que sémantiquement instable, est juridiquement impropre. Dans les textes, il ne concerne que l’accès aux médicaments. Il s’agit derrière ce terme séduisant, d’un « l’exercice de l’art sans prescription médicale ». Notons que les textes du CLIO cosignés par le CNOM comportent la locution « recours direct » systématiquement traduite par « accès direct » dans la presse et par certaines organisations de professions paramédicales.

Le concept confus d’accès direct est promu par les pouvoirs publics comme la panacée face aux déserts médicaux, la solution pour faire gagner du temps aux médecins et pour permettre une évolution des professions paramédicales par-delà le plafond de verre historique qui les séparent de la médecine. Les gains d’efficience et les économies, moins mis en avant depuis la pandémie, restent en arrière-plan.

Même légitimé par le « triage » – terme de médecine de guerre dont on a vu l’utilisation tragique lors de la pandémie COVID – et les « drapeaux rouges » qui le justifient sur une littérature bien fragile de médecine algorithmique, l’accès direct promu par Mme Rist sans concertation est en réalité un accès sélectif au médecin.

La traduction correcte de cette forme d’accès direct est : « il n’y a pas lieu de consulter directement un médecin pour certaines situations ». Ces situations, loin des protocoles imposés à la hâte, restent à valider en concertation, à inclure dans les nomenclatures et rémunérer avec les risques que cela comporte. Accès sélectif dit possible contrôle par des gate keepers de l’accès aux parcours de soins remboursés, voire d’une réingénierie des soins primaires et des parcours dans une logique trop financiarisée pour être capable de s’articuler avec les logiques cliniques.

Comment peut-on oser affirmer aux usagers qu’en l’état actuel des formations et des maquettes de formation, les paramédicaux promis à l’accès direct ont la compétence pour établir en première intention des diagnostics médicaux et des programmes de soins ? Comment soutenir sans preuves qu’ils ont celle de faire les diagnostics différentiels, si fondamentaux dans la formation médicale et qui justifie sa durée, pour éviter les erreurs d’orientation ? Il s’agit d’un déni des compétences médicales spécifiques des médecins généralistes et spécialistes.

Coordination, reconfigurations et déréglementation de la médecine

C’est essentiellement le terme valise de « coordination » qui pose problème dans la proposition de loi. Elle soumet l’accès direct à la condition d’un exercice coordonné ou en structure d’exercice coordonné. Mais de quelle coordination s’agit-il ?

Il ne s’agit pas de s’opposer à une délégation de tâches, à un exercice en pratique avancée, voire à de nouvelles professions dès lors qu’ils respectent la compétence spécifique du médecin en termes de diagnostic médical, de traitement et de coordination des programmes de soins, qui sont autant de garanties d’un droit égal des patients à la protection sociale de leur santé. 

Délégations et interprofessionnalité doivent s’inscrire dans une protocolisation des soins réellement coordonnée par un médecin, y compris en soins primaires. Indéfinie, celle-ci serait vite synonyme de management à la main d’une chaîne de commandement issue d’un administrateur. Ce dernier est trop asservi, même à son corps défendant, à des logiques financières qui lui sont imposées.

Enfin des parcours appropriés doivent avant tout s’appuyer sur la collaboration et la responsabilité territoriale au sein et entre des équipes de soins au contact des patients, non sur des fonctionnements types rigides et artificiels imposés d’en haut. Le futur médecin risque d’en être réduit à valider tacitement à son « guichet » purement symbolique une séquence de prescriptions établies par d’autres, mais surtout agencées par d’autres logiques, dont il ne pourra pas juger de la pertinence médicale.

3 idéaux types de l’interprofessionnalité et de la coordination s’affrontent :

1/ Une vision collaborative, médicalisée et coordonnée des parcours de soins et des délégations.

Elle doit passer par des réponses adaptées à chaque territoire émanant des collectifs professionnels responsables, reflétant les spécificités de la médecine générale et spécialisée au regard de l’accès aux soins, en collaboration étroite entre médecins, paramédicaux et usagers. Les organisations bureaucratiques imposées « d’en haut » n’apporteront pas la solution. Pourrons nous tenir ce cap ?

2/ Une vision atomisée, en silo et démédicalisée de l’accès aux soins primaires ?

Les organisations paramédicales attendent un remboursement direct de leurs actes sans prescription médicale par l’Assurance-maladie. Ils convoitent la position hégémonique des médecins généralistes en soins primaires, malgré la superposition des déserts paramédicaux et médicaux. Cette approche risque d’aggraver la fragmentation des parcours, les défauts majeurs d’accès déjà constatés à des soins paramédicaux complexes, peu rémunérateurs et les inégalités d’accès aux soins.

3/ Une vision financiarisée

fondée sur des business models que nous peinons à imaginer, mais dont les précurseurs s’observent dans les centres de la vision, les cabinets de biologie, la radiologie, les centres de soins dentaires, l’anatomopathologie ou les centres de soins primaires rachetés par des fonds privés. Cette vision est poussée par les investisseurs aux aguets, par de puissants lobbies qui font la promotion active d’un découpage du champ de la médecine en filières financiarisées.

Une politique du salami au profit de nouveaux investisseurs ?

L’organisation médicale suppose l’autonomie dans l’exercice de l’art médical, qui suppose celle de son organisation. La responsabilité organisationnelle ne doit pas être un simulacre d’autonomie coordonné par des administrateurs tout puissants, qu’il s’agisse d’un exercice salarié en établissement, en centre de santé ou d’un exercice libéral encadré. Tous les acteurs sont d’accord sur la nécessité de mieux intégrer les parcours en concertation avec les parties prenantes. Ce ne peut être par des oukases imposés par des lois de finances de la sécurité sociale ou par un Comité national des coopérations interprofessionnelles chargé de la généralisation bureaucratique et autoritaire à tous les territoires de fonctionnements types, rigides et inopérants. La méthode est inacceptable et conduira à l’échec.

Le risque de la victoire de la vision atomisée ou de la vision financiarisée est lié à une déréglementation volontaire des professions de santé soutenue par des arrières pensées économiques et de rationnement des soins. Elles vont à rebours des besoins de la population comme de la protection sociale. Ce risque pèse autant sur les établissements que sur les médecins libéraux. En établissements, cela faciliterait l’asservissement des médecins et des professions paramédicales aux managers qui contrôlent les robinets financiers. En secteur libéral la menace est patente sur l’exercice de nombreuses spécialités citées plus haut. Mais toutes les spécialités médicales sont concernées par la déréglementation galopante de la médecine. 

Veillons à ce que les promesses incantatoires de la « fin du tout médecin », du « partage des actes et activités » et la promesse illusoire que « Le médecin reste un passage obligé », ne cachent une véritable politique du salami, déjà dénoncée par Didier Tabuteau à propos de l’Assurance-maladie. La vente à la découpe de nos organisations médicales pour les revendre à des groupes d’intérêts à peine masqués, au nom des nouvelles filières industrielles décrites dans le rapport Sibille (visuelle, auditive, buccodentaire, de santé mentale etc.) constituerait une machine à aggraver la production administrative des inégalités de santé et du handicap. Perte de sens et désenchantement soignant sont aggravés par l’autonomisation de la CNSA en caisse de protection sociale. Elle majore la fragmentation des soins et des services sociaux, source d’obstacles ubuesques à l’intégration des parcours pour les équipes cliniques.

Un médecin ne peut pas être remplacé Sur Egora Par Sandy Bonin le 26-10-2022

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