Par Philippe Camparo
Président du SMPF (Syndicat des Médecins Pathologistes Français)
Membre du bureau d’Avenir Spé
Financiarisation où en est-on ?
A la suite d’un rapport du Sénat publié en 2024, l’IGAS a été missionnée afin d’évaluer les conséquences de la financiarisation du systeme de santé et proposer d’éventuelles voies de contrôle et d’amélioration. Elle a pour cela interviewé différents acteurs de la santé en France et en particulier le syndicat Avenir Spé.
L’histoire de la financiarisation de la santé en France commence avec celle des cliniques.
D’abord fondées et gérées par des médecins entrepreneurs elle est confrontée vers les années 1990 à trois problèmes :
- Les fondateurs souhaitent céder leur activité,
- Les coûts de rachat de ces cliniques sont élevés,
- Et pour les futurs acheteurs les contraintes – droit du travail, protection des personnels et de l’environnements, accréditation etc…- croissantes.
Dès lors des fonds d’investissement aux capacités financières presque illimitées aux regards des besoins et possédant des compétences de gestion ad hoc s’emparent progressivement du marché.
Tout s’accélère au début des années 2010. L’Etat qui voit dans l’hôtellerie hospitalière un modèle qui a fait ses preuves rêve de sa part de gâteau dans son élargissement à la médecine libérale. De nouveaux marchés de croissance sont nécessaires aux fonds d’investissements et un faible coût de l’argent leur permet d’emprunter à bas prix. Enfin le nombre de médecins en activité c’est à dire de potentiels acheteurs de patientèle est à son nadir. Le secteur de la biologie, très éclaté couteux en investissement et dispendieux aux yeux des organismes payeurs est la cible parfaite. Les potentiels sont importants, l’automatisation étant notable dans cette spécialité.
Bientôt 80% du marché est capté par les fonds qui se tournent dès lors vers d’autres spécialités à prédominance médico technique qui leurs semblent proches de la biologie (radiologie anatomie pathologique). Quelques-uns essayent bien d’alerter sur les risques de dérapages, d’indépendance des médecins et de perte de qualité des soins mais l’Etat espère toujours obtenir de cette concentration de meilleures négociations tarifaires. A nouveau trois éléments vont changer la donne :
- Les choix politiques concernant la libéralisation des activités de lunetterie et audioprothèses et plus tard la téléconsultation vont créer des appels d’air pour des investisseurs plus intéressés par la rentabilité de ces nouvelles activités que par l’éthique médicale et le bien commun,
- Le coût de l’argent va se renchérir à la suite de la crise de la Covid,
- Et enfin le nombre de médecins disponibles est en train d’augmenter.
Aujourd’hui le constat est consensuel.
La qualité et l’offre de soins se dégradent : fermeture d’activité considérées comme non rentables comme les maternités, la réanimation ou la chirurgie lourde, baisse de qualité des prestations en particuliers dans les secteurs médico techniques par détournements des bonnes pratiques dans un souci de rentabilité, augmentation des dépenses de lunetterie et démarchages indécents pour les audioprothèses…
Qui plus est des scandales récents comme ceux concernant les EHPAD ont servi de détonateur sur les dérives des acteurs financiers.
Consensuel mais pas quant aux corrections à apporter. L’application des règles éthiques, imposées et revendiquées par les médecins mais ignorées des investisseurs, le bien fondé des soins et la santé de la population bien que difficilement quantifiables à court ou moyen termes par manque d’outils, sont portés par l’ensemble des professionnels médecins.
L’état qui n’entend que d’une demie oreille ces arguments se préoccupe plus de ses finances devant des acteurs finalement plus efficients et subtils qu’il n’aurait cru, les dernières grèves des acteurs de la biologie ou des gestionnaires de cliniques ayant démontré les limites d’une croyance de ruissèlement initialement mises en avant.
Pour autant n’est-il pas trop tard ?
Revenir en arrière semble impossible à moins d’une nationalisation de la santé qui verrait alors disparaître complétement le secteur libéral (et n’apporterait sans doute pas les résultats attendus si l’on en juge par le déficit chronique des hôpitaux publics).
Augmenter les contraintes règlementaires autorisant l’entrée de financiers au capital de sociétés médicales est une possibilité que ces mêmes financiers ont allègrement contournée en créant des pactes d’actionnaires secrets, des actions à droits prioritaires ou en jouant sur une réglementation européenne parfois permissive. Pour autant les pressions administratives imposées aux médecins existent et rien n’empêche d’en imaginer d’autres qui s’avèreraient utiles pour contrer les dérives des investisseurs : limiter le pourcentage de capital et de droit de vote détenu, voire interdire tout pouvoir décisionnel en limitant le rôle des investisseurs à celui de simple préteur.
Pendant ce temps la situation évolue, en particulier le nombre de médecins augmente maintenant régulièrement. Ainsi le déséquilibre en excès de vendeurs qui existait durant ces vingt dernières années s’inverse. Il y aura bientôt plus d’acheteurs que de vendeurs et un clinicien souhaitant céder sa clientèle trouvera en face de lui de jeunes confrères désireux de racheter une patientèle plutôt que de devoir passer de longues années à en constituer une. On pourrait ainsi envisager plutôt que de faire appel à des investisseurs préoccupés de leur retour sur investissements de proposer un fond public permettant à de nouveaux médecins d’emprunter avec des conditions adaptées.
Dans le cas contraire les investisseurs jamais à court d’idées chercheront d’autres voies de diversification : rachat de plateaux techniques par les groupes de cliniques afin de capter la « clientèle », diversifications vers d’autres spécialités, radiothérapie, ophtalmologie… ou d’autres professions paramédicales comme les kinésithérapeutes et les infirmières avec lesquelles la pratique de soins avancés permettrait la mise en place de relais de croissance malgré une offre de soin dégradées en commençant dans des régions considérées en déficit de couverture médicale. Dans un futur dystopique pourtant pas si improbable des structures comme Doctolib revendue à des fonds pourraient également souhaiter se diversifier en proposant non plus simplement des calendriers de rendez-vous mais des offres de prise en charge globale aidée par un carnet d’adresse complet et captif. Quant à l’IA et le rêve de voir le praticien remplacé par une intelligence artificielle n’ayons aucun doute quant à l’imagination des investisseurs.
Il est temps de bien y réfléchir, Mais c’est surtout aux médecins de prendre en main l’avenir, financier, de leurs exercices.